« Eileen Skyclad, une aventure/Chapitre 1 » : différence entre les versions

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C'était le début de l'automne, le septième jour de la Lyre. La nuit venait de tomber.

Seul un feu de camp aux flammes vacillantes trouait le noir manteau qui s'étendait, inexorable et silencieux. Seule près de l'âtre, Eileen, machinale, peigna ses longs cheveux bruns puis alimenta le feu. Depuis qu'elle avait commencé à voyager ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait seule, livrée à elle-même. Elle n'aimait guère cela parce que solitude rimait toujours avec peur et ennui.

L'automne s'installait petit à petit, jaunissant les feuilles et faisant fraîchir le temps, elle s'enveloppa dans son manteau de renard et attrapa son luth. Elle se sentait mélancolique et sa musique se fit le reflet fidèle de ses sentiments. Une branche craqua prés de son campement. Elle arrêta aussitôt de jouer et tendit l'oreille.

Instinctivement sa main glissait jusqu'au pommeau de sa dague.

Prudemment, les mains éloignées du corps, un homme sortit des ténèbres. Ils restèrent immobiles à quelques mètres l'un de l'autre plusieurs minutes. Prêts, elle à se dresser sur ses jambes, lui à dégainer son épée. Ses vêtements crottés étaient fait de cuir épais entaillé par endroits. Un large chapeau de cuir masquait son regard et une longue épée bringuebalait à son côté. A en croire tout ce qu'il transportait, sac à dos, besace, outres, arc et carquois, l'homme était à n'en pas douter un voyageur, tout comme elle.

Il ôta son chapeau en approchant d'un pas. De taille moyenne, il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Brun, barbu, les yeux verts, il aurait pu être mignon sans ses pommettes trop saillantes et ses oreilles un peu décollées.

Socrane approchait lentement du feu, ne quittant pas des yeux la voyageuse qui était assise à côté. Jeune, dix-huit printemps à peine, et jolie, très jolie même, elle ne lui inspirait aucune peur ; mais son habitude du voyage et sa connaissance du haut-rêve lui dictèrent toutes deux la prudence. Les voyageurs ne sont pas des solitaires de nature et le don de la magie n'est pas rare parmi eux. Il scruta les alentours sans résultats puis tenta de la rassurer.

- N'aie pas peur, je suis un voyageur. Je ne veux que dormir près de ce feu...

Elle ne répondait pas et ne le quittait pas des yeux. Il continua à lui parler en s'approchant pas à pas. Il fallait éviter par dessus tout qu'elle ne prenne peur. Il ne lui voulait aucun mal, simplement partager la chaleur de ce feu de camp.

Socrane la détailla un peu plus comme il s'approchait d'elle. Outre le manteau de fourrure, elle était vêtue d'un pourpoint et de chausses de cuir fin et souple. Le pourpoint dégrafé laissait entrevoir une chemise de lin tendue sur une poitrine ferme et bien ronde. Il n'avait que rarement vu de femme plus ravissante et se félicita d'avoir quitter son abri froid et précaire pour tenter sa chance auprès de ce feu.

Malgré ses assurances, elle restait visiblement méfiante et si elle avait peur elle ne le montrait pas.

Tout comme lui, elle ne désirait pas passer la nuit seule, en pleine nature. Aussi accepta-t-elle ce nouveau compagnon malgré ses appréhensions. Socrane s'installa près du feu et le nourrit. Ils discutèrent de leur souvenirs de voyage respectifs, il la fit rire. Sa méfiance semblait envolée, ils décidèrent de faire un bout de chemin ensemble et cédèrent à la fatigue, l'un après l'autre. Malgré ce que pensait Socrane, cette nuit-là, emmitouflée dans son manteau, elle garda la main sur le pommeau de sa dague...

Le lendemain matin, ils se mirent en marche au début de l'heure du Vaisseau. Le paysage était le même que les jours précédents: un tapis apparemment sans fin de basses collines faiblement boisées. Vers mi-Couronne, ils atteignirent un petit village nommé Nogaric. Au sud, ils pouvaient apercevoir la ligne sombre et imposante d'un plateau fendue par une large passe. Une rivière s'écoulait de cette passe et traversait le village avant d'amorcer une méandre vers l'est. Grimok, un paysan,, les accueillit. Comme Nogaric ne possédait pas de maison des voyageurs ni même une auberge il les logea dans la salle des jugements, une maison isolée servant de tribunal et jouxtant le cimetière.

Un cimetière est une chose peu courante, les morts étant d'habitude brûlés, jetés dans un gouffre, un fleuve ou une déchirure ou encore abandonnés purement et simplement aux charognards. Aussi, La curiosité d'Eileen et Socrane fut-elle attirée par ce lieu étrange. Ils s'installèrent dans la salle des jugements et allèrent ensemble le visiter. Chose curieuse, toutes les pierres tombales avaient la forme grossière d'une femme nue, le nom du défunt inscrit en runes carrées sur leur ventre.

Socrane s'aperçut à cette occasion qu'Eileen ne savait pas lire, ni à fortiori écrire.

Alors à quoi pouvait bien servir l'écritoire et les parchemins qu'il avait aperçu dans son sac ? Soit elle dessinait, soit alors...

Grimok fit part de leur arrivée à Messire Poupoute, l'homme le plus riche du village et, de manière implicite, également le chef. Poupoute, aux dires de Grimok, avait une fille nommée Lorène dont la beauté éclipsait celle d'Eileen. Sa jalousie viscérale se réveilla et elle se jura d'en avoir le cœur net. Elle devait la voir, savoir si elle était réellement plus belle qu'elle...

Désirant se renseigner sur la région, ils cherchèrent, sur les conseils de Grimok, le berger Vaseloute, le sage du village. Ils le trouvèrent près du puits. A l'odeur s'exhalant de lui on ne pouvait se tromper quant à sa profession, même de loin. A peu près la quarantaine, les cheveux en bataille, les traits secs, il s'appuyait sur sa crosse tandis que son chien gambadait autour de la margelle.

- Ne me dites rien, vous êtes des voyageurs ! Il en passe beaucoup en ce moment, ce doit être la saison...

Avant que la question ne passe les lèvres d'Eileen, il enchaîna.

- Il en est passé pas moins de trois voici deux semaines, deux hommes et une femme, et quatre autres il y a à peine dix jours. Ceux-là avaient avec eux une petite fille toute boulotte ! Eh bien, ils sont tous au tombeau maintenant...

- Au tombeau !? fit Socrane.

- Ben oui, le tombeau d'Escurial, sous la cascade de la rivière. Vous pouvez pas vous tromper, vous remontez la rivière jusqu'à une grande cascade flanquée de deux énormes statues de femmes nues bien roulées. Il jeta un coup d'œil à Eileen puis continua. Le tombeau est creusé dans la montagne en dessous. Faites attention, il semble avoir un mur, mais en fait il n'en a pas, ou plutôt on passe à travers ! C'est sûrement de la magie...

Ils quittèrent pour un temps le sujet du tombeau pour se renseigner sur la région en général. Vaseloute s'adressa à Socrane sur le ton de la confidence.

- Plus au sud, au delà de la passe, à deux jours de marche, il y a un village où les filles sont toutes belles et faciles. Ouais mon gars ! Il s'appelle Norbeck,, retient ce nom mon gars ! De ce côté ci de la passe, c'est les Mauveterres, de l'autre côté je sais pas... Il se tourna vers l'est. En suivant la route vous arrivez au village d'Ascors, le lieu de rassemblement des chasseurs de chevelus...

- Les chevelus ?

- Ben oui, les chevelus ! Ils ressemblent beaucoup à des humains avec de très longs cheveux mais ça n'en sont pas...

- Pourquoi ?

- Parce qu'ils sont nus et qu'ils ne parlent pas ! Quelle question ?! Les gens de la cité d'Amaranthe payent très cher les scalps de chevelus. Paraît qu'ils se les mettent sur la tête... Quelle drôle d'idée !

- Amaranthe est-elle loin d'ici ? s'enquit Socrane.

- La cité du lac Miroir ! Elle est à plusieurs jours de marche par la route,, au delà d'Ascors. Tous les scalps vont là-bas. Peut-être si vous chassez les chevelus en chemin aurez vous la chance, ou la malchance de rencontrer la Mauviette. C'est une chevelute dont les cheveux sont en or. Elle peut être votre fortune ou votre mort. Tous les chasseurs aimeraient bien l'attraper mais dés qu'ils l'approchent, elle prend peur et disparaît dans une brume mauve avec tout ce qui était auprès d'elle !

C'est pour cela que les collines où elle habite près des montagnes s'appellent les collines des mauves brumes.

Ayant eu leur compte de légendes, ils laissèrent Vaseloute à ses moutons et retournèrent à la salle des jugements. Là, ils discutèrent longtemps sur la direction qu'ils allaient prendre le lendemain avant de céder à la fatigue. Celle du tombeau l'emporta finalement surtout parce qu'il n'était qu'à deux heures de marche de Nogaric. Cette nuit-là, elle laissa sa dague au fourreau.

Ils quittèrent Nogaric dès l'aube. Sur la route du sud, peu après être entrés dans la passe, Socrane et Eileen rencontrèrent trois voyageurs, deux hommes et une petite fille boulotte. Le premier était un géant châtain clair aux yeux verts, l'air fier et volontaire. Il était bardé de cuir et de métal et portait bouclier et épée bâtarde.

Avec son armement et sa mine patibulaire, elle l'aurait cru tout droit sorti d'une bataille si le sac à dos, la besace et les outres qu'il transportait ne le désignaient immanquablement comme un voyageur. Le second homme, plus petit et fluet, avait les yeux mauves. Toute la tristesse du monde semblait peser sur ses épaules. Son équipement dénotait une expérience certaine du voyage et son pourpoint dee cuir lacéré de ses dangers.

La petite fille quant à elle était équipée de la même façon que l'homme aux yeux mauves et portait en plus un arc minuscule. Eileen ria en pensant à la description qu'en avait fait Vaseloute, sans doute ne savait-il pas ce qu'était une gnomesse. Bien en chair, les oreilles pointues, Ce petit être d'à peine plus d'un mètre de haut n'avait rien d'une enfant. En fait elle aurait pu être la mère d'Eileen, ou même sa grand-mère.

Le regard couleur de déchirure du voyageur au pourpoint en lambeaux, attira le sien comme un aimant. L'espace d'un instant ils plongèrent l'un dans l'autre. Troublée Eileen se détacha. L'homme aux yeux mauves, le visage transfiguré par une joie immense, se jeta sur elle.

- Eileen ! Est-ce bien toi ? Tu t'appelles bien Eileen Skyclad n'est ce pas ? C'est moi Archibald Mandegloire ! Ne me reconnais-tu pas?

Des brides de souvenirs lui revinrent en mémoire comme des lambeaux de rêve arrachés à l'oubli. Elle se souvint avoir voyagé avec cet Archibald et la gnomesse, Myira. Quant au troisième voyageur elle n'en avait aucun souvenir. Il n'en était pas de même pour lui. Torgen, l'homme au bouclier, leva les yeux au ciel:

- Non, ce n'est pas elle, pas de nouveau ! C'est un cauchemar...

- Tu ne me reconnais pas ! désespéra Archibald.

Les images éparses de ses rêves devinrent de vrais souvenirs, bien que encore confus et flous. Elle était sûre de le connaître, ou plutôt de l'avoir connu en rêve.

Elle lui sourit pour le rassurer et parce qu'elle avait pitié de sa mine tragique.

Archibald sentit un rayon de soleil entré en lui. Il ne sut réprimer une larme de joie et la prit dans ses bras. La mort d'Eileen après plusieurs heures d'agonie l'avait terriblement affecté. Cette rencontre inespérée lui redonnait soudain goût à la vie.

- Après tout ce que nous avons été l'un pour l'autre, te retrouver c'est magnifique !

Eileen se sentit gênée :

- Je suis désolée, Archibald, je ne souviens pas, tout est flou...

- Ça ne fait rien, cela te reviendra avec le temps fit Archibald confiant. Où allais-tu ainsi ?

- Nous nous rendons au tombeau. fit Socrane.

Archibald, Torgen et Myira échangèrent un regard complice.

- Nous en venons justement. Nous avons failli tous y rester à cause d'un jeune exalté doublé d'un obsédé sexuel, un certain Coleen. Il nous a quitté ce matin pour partir à la recherche de Norbeck, un village où...

- Où les filles sont belles et faciles ! répondirent en chœur Eileen et Socrane.

Ils gagnèrent Nogaric. En chemin, Archibald donna à Eileen la dague qui avait été sienne dans sa vie précédente, lorsqu'elle voyageait avec eux. Il lui expliqua que cette arme lui avait appartenue et qu'elle lui revenait de droit. Eileen la prit en main ravivant par là même des souvenirs enfouis en elle : le quauquemaire, les zombies, la thanateuse. La vision chargée d'angoisse d'un escalier à flanc de falaise sombre et nimbé de brume s'imposa à elle, elle se revit ratant une marche et glissant dans le vide, puis plus rien. L'abîme, le néant.

A Nogaric, ils achetèrent de la nourriture et de l'huile pour la lanterne. Ainsi équipés, ils reprirent tous ensemble la route du tombeau en remontant la rivière. Les villageois ne furent pas dupes un instant de leurs intentions et les regardèrent s'éloigner avec un petit sourire amusé. La rivière coulait dans la passe en un cours large et paresseux. Ils la remontèrent jusqu'à un coude où elle devenait plus tumultueuse en s'engageant dans une gorge raide. Ils la gravirent jusqu'à une cascade. Le tombeau était bien comme Vaseloute l'avait décrit, les gigantesques statues de femmes nues sculptées à même la roche de la falaise gardaient, bien que fortement érodées, toute leur majesté.

Des escaliers creusés à flanc de falaise étaient visibles de chaque côté de la cascade. Ils menaient à une corniche située juste dessous. C'est là que se trouvait, aux dires de Vaseloute, l'entrée du tombeau.

Torgen prévint Eileen et Socrane que trois voyageurs, deux hommes et une femme, avaient trouvé la mort en ces lieux juste avant leur arrivée. Le cadavre de la femme, décapitée net, avait été trouvé à moitié dénudé coincé dans les rochers près de la cascade, celui du premier homme un peu plus bas près d'un vestige de campement et le second, sous l'emprise d'une haine, avait été tué par Coleen au niveau du coude de la rivière.

Cet escalier lui rappelait celui de son cauchemar. Elle frissonna et se faillit céder à une peur panique. Par un effort de volonté, elle arriva à se contrôler et s'engagea, non sans appréhensions, sur ces marches glissantes. Dégoulinant d'eau, les vêtements trempés, ils se glissèrent sous la cascade. Eileen les vit disparaître un à un comme avalés par la paroi. Elle comprit qu'il s'agissait d'une zone d'illusion. Son maître en magie lui avait dit que de tels sorts existaient mais elle n'avait encore jamais vu une de leurs manifestations tangibles.

Dans la salle masquée par l'illusion, Archibald alluma sa lanterne, elle était comme il l'avait quitté le matin même: une salle carrée de plusieurs mètres de côté taillée dans le roc avec en son centre une stèle massive. Elle portait un message signé par des arabesques compliquées. Eileen se savait pas lire les runes mais les lignes cursives de la signature lui évoquèrent sans l'ombre d'un doute le draconic, la langue des Dragons et de la magie.

Archibald lui lut le message de la stèle et lui évita également des heures de lecture en lui indiquant la signification des arabesques:

O visiteur, merci de ta visite.

Il faut maintenant t'en retourner.

Attention à la marche.

Signé Escurial, summum de l'élégance, baiseur de foudre, assassin naïf.

Escurial, expliqua Archibald était un magicien du second âge surtout connu pour sa propension à l'ostentatoire et à la futilité. Son tombeau était à son image. Plan en main, il les conduisit à travers des couloirs obscurs jusqu'à une salle hexagonale couverte de mosaïques bleues de toutes les teintes, formant des dégradés des plus fins. L'un des murs portait une fresque représentant des femmes nues avec en transparence des monstres indolents et gras vautrés sur une berge. Eileen et Socrane trouvèrent cette représentation des sirènes fort conforme avec l'idée qu'ils s'en faisaient n'ayant jamais eue l'occasion ni l'un ni l'autre d'en approcher.

Ces monstres, vivant prés des berges et rives, se masquaient derrière des illusions de jeunes filles nues et attiraient les imprudents qui s'y aventuraient par leurs chants envoûtants. Quand le malheureux découvrait la vérité, il était souvent trop tard et ceux qui survivaient ne commettaient pas deux fois la même erreur.

Archibald leur montra le bas de la fresque, les motifs d'algues entrelacées étaient en fait du draconic. Eileen et Socrane entreprirent aussitôt de la déchiffrer. Le soir vint sans qu'ils trouvent sa signification et ils se promirent de poursuivre dès le lendemain matin.

Plusieurs jours passèrent sans qu'ils puissent continuer la lecture ou même l'exploration du tombeau et ce à cause d'Eileen. La nuit avait été très agitée, oniriquement parlant. Montée dans les terres médianes du rêve, à mi-chemin entre les Dragons et les hommes, entre les rêveurs et leurs rêves, là où seuls les magiciens peuvent se rendre, elle avait essayé de mettre un sort en réserve et avait lamentablement échoué. Les Dragons l'avait puni en peuplant son sommeil de nombreux cauchemars dont les effets se firent sentir dès le réveil.

Le premier jour, elle éteignit tous les feux que ses compagnons tentaient d'allumer, rendant l'exploration du tombeau impossible. La seconde nuit ne fut pas meilleure et elle passa la journée suivante à quatre pattes en proférant des jurons. Dee tels comportements ne surprirent personne, tous à part Torgen étaient des haut-rêvants.

Quant à lui il savait à quoi s'en tenir avec ces magiciens tous plus ou moins fous...

Le troisième jour, elle put enfin finir la lecture de la fresque malgré un désir lancinant qui la tenaillait: traire une vache. Elle avait choisi de la lire par la voie d'Oniros, la voie reine de la magie et ce choix s'avéra judicieux.

La compréhension vint d'un seul coup, comme des ténèbres que l'on éclairent. Les algues entrelacées formaient en fait la formule d'un sort qu'elle ne connaissait pas:

une zone où nul bruit provenant de l'extérieur ne pouvait venir troubler ceux qui y séjournent, une zone de quiétude en somme.

L'énigme des algues résolue, ils poursuivirent leur exploration systématique du tombeau. Dans un couloir sombre, ils tombèrent nez à nez sur deux créatures humanoïdes de petite taille, fines et très agiles, des chafouins. Archibald, pourtant loin d'être un guerrier, dégaina soudain son épée et se jeta sur eux. L'étroitesse du couloir et la longueur de son arme empêcha tout autre membre du groupe de venir l'aider. Pris d'un héroïsme aussi soudain que forcené, Archibald faisait de son mieux avec cette arme qu'il ne savait que très peu manier.

Les chafouins esquivaient sans mal ses attaques maladroites. Malgré son inefficacité, il continuait à y aller de taille et d'estoc. L'issue ne faisait aucun doute pour Torgen, Archibald allait prendre un mauvais coup et il ne pouvait rien faire pour l'aider.

Approcher de lui en ce moment était trop dangereux tellement sa frénésie était grande. Dans un état second, Archibald se battait sans réaliser un instant le grand danger qu'il courrait.

L'un des chafouins planta cruellement ses crocs dans sa jambe. Il fallait réagir vite, Eileen monta dans les terres médianes chercher un sort et le lança sur Archibald.

Soudain celui-ci fut à même de prévoir les réactions des chafouins et d'en jouer pour placer ses attaques et éviter les leurs. Ce "décalage temporel" lui sauva la vie.

L'un des chafouins prit un coup mortel et l'autre décampa. Archibald le poursuivit pendant quelques mètres avant de s'arrêter, grimaçant de douleur.

Cet héroïsme ne lui ressemblait en rien, lui si paisible et pacifique. Il mit cela sur le compte des Dragons, un autre coup de "queue de Dragon" qu'il avait dû recevoir durant son sommeil. Fataliste, il haussa les épaules tandis qu'Eileen le pansait.

Un escalier aux marches verdies les mena à une impressionnante statue de chimère et, de couloirs en salles désertes, ils arrivèrent au cœur du tombeau, là où reposaient les restes d'Escurial.

Ils longèrent prudemment la paroi en rentrant le ventre pour éviter la zone de téléportation trônant au centre de la salle. Le plan trouvé sur le voyageur possédé par la haine indiquait un piège à cet endroit et quel piège ! Un aller simple pour ailleurs, sans doute pour une prison au goût de tombe, au cœur même de la montagne.

Tout avait été pillé, la momie mise en pièces et ce depuis longtemps. Lorsque Eileen et Socrane leur demandèrent ce qu'ils avaient trouvé lors de leur première visite, ils énumérèrent un peu gêné leur maigre butin : une charnière de coffre, cinq pièces de bronze et un petit anneau magique en cuivre permettant à son possesseur de bouger ses oreilles et que Myira portait fièrement au pouce. Rien qui ne justifiât les périls encourus...

Sur le chemin du retour, ils découvrirent un escalier descendant plus profondément encore dans la terre : un escalier raide, presque abrupt, aux marches usées par le temps. Son cauchemar donna de nouveau des sueurs froides à Eileen, de nouveau elle vainquit sa peur.

Une vaste caverne où régnait une nuit éternelle et méphitique s'étendait au bas des marches. La lanterne ne suffisait pas à percer les ténèbres. Les parois se resserrèrent énormément au niveau d'un étranglement de quelques mètres à peine de large. A ce niveau, la lumière de la lanterne fit fuir une dizaine de petites créatures d'un demi mètre de haut à peine. Humanoïdes, elles faisaient penser à un croisement entre un homme et une grenouille.

- Des frogoths ! s'écria Archibald.

Ces animaux affectionnaient tout particulièrement les endroits sombre et humides comme des grottes ou une profonde forêt marécageuse. les petits mangeaient des racines, des alevins ou des larves. Les parents eux étaient carnivores et dévoraient volontiers leur progéniture très abondante. Les survivants, les plus agiles et rusés d'entre eux, arrivaient à l'âge adulte pour procréer à leur tour.

Archibald mesura en une seconde le risque qu'ils prenaient. Ceux-ci étaient des petits, les parents selon ses souvenirs, étaient plus grands, beaucoup plus grands. Ils pouvait atteindre facilement trois voire quatre mètres de haut...

Malgré tout, ils avancèrent chassant devant eux des dizaines de petits frogoths apeurés. L'étranglement passé, ils entrèrent dans une autre salle, plus vaste encore que la première. Les petits fuyant toujours eux, ils atteignirent la berge d'une large rivière souterraine au faible courant. Les petits entrèrent dans cette rivière et disparurent dans les ténèbres de son lit. D'un commun accord, ils firent demi-tour et regagnèrent la salle de la stèle.

Le matin se leva sur un ciel chargé de nuages annonçant la pluie. Le temps avait fraîchi, le pays s'installait peu à peu dans l'automne. Eileen n'avait pas le moral, elle se désespérait de ne pouvoir satisfaire un désir irrépressible de traire une vache...

Archibald proposa de retourner dans la caverne aux frogoths, quelque chose lui échappait quant à ces animaux, quelque chose d'important, il en était sûr. Myira refusa catégoriquement et ses autres compagnons de voyage se montrèrent plus que réservés. Après maintes discussions et tergiversations, ils se rendirent aux arguments d'Archibald et s'enfoncèrent de nouveau dans les entrailles du tombeau, Myira en traînant les pieds plus que les autres.

Pour se donner du courage, ils burent chacun un peu de bière, l'alcool le plus fort fabriqué dans la région. Myira prit la tête, plus par logique que par envie. Sa connaissance innée et atavique des sous-sols pouvait le cas échéant sauver la vie du groupe. A chaque pas Eileen tremblait de rencontrer de nouveau des chafouins ou pire encore, des cafards géants et venimeux : les chrasmes...

Sans encombres, ils arrivèrent à la grotte aux frogoths. Une rumeur sourde leur parvenait des ténèbres sans doute le grondement du courant. En tendant l'oreille, Eileen et Socrane perçurent également un sifflement puissant et aigu, à la limite de l'audible...

Ils avancèrent jusqu'à l'étranglement. Dés qu'ils approchaient, les petits détalaient à toutes jambes. Torgen proposa de s'avancer seul en masquant la lanterne pour les prendre à revers et les rabattre sur ses compagnons. Archibald pourrait alors les examiner tout à loisir et se rappeler enfin ce qu'il était si important de savoir sur ces bestioles. Ensuite, ils quitteraient bien vite ce lieu sinistre.

Arrivé au milieu de la seconde salle, Torgen dévoila la lumière et poursuivit les frogoths effrayés comme s'il s'agissait de simples poulets. Son plan marchait à merveille quand le sifflement leur vrilla de nouveau les tympans.

Aussitôt, les petits firent volte-face et se jetèrent tous sur Torgen, toutes griffes dehors. Socrane, qui se tenait à peu de distance de lui, le vit être encerclé en quelques secondes par une nuée de petits frogoths. Totalement pris au dépourvu, Torgen ne réagit que trop tard. Toutes possibilités de fuite étaient coupées et le nombre de frogoths autour de lui ne cessait d'augmenter. Il fallait se battre.

Il tira sa bâtarde au moment où les premiers frogoths se jetèrent sur ses mollets, entamant le cuir de son armure. Le sifflement devenait à chaque seconde plus puissant et soudain, à la limite extrême de la lanterne, une immense ombre se dressa.

- Le grand frogoth ! Lâcha-t-il entre ses dents serrées.

Socrane décocha une flèche sur le monstre mais le trait, bien qu'il le touchât, ne ralentit ni ne détourna sa course. Torgen était sa proie.

Restés trop loin en arrière, Eileen, Myira et Archibald ne distinguaient que des ombres mouvantes entre les piliers de calcaire. Sentant qu'un combat s'y déroulait, ils avancèrent à tâtons vers la lumière vacillante. Prévoyante, Eileen battit lee briquet pour allumer une torche.

Les petits s'agrippaient partout où ils le pouvaient: mollets, cuisses, fesses, cheveux, lanterne ou bouclier. Dans ses tentatives désespérées pour se libérer, Torgen lâcha la lanterne qui tomba à terre et se coucha sur le flanc. L'huile se répandit et la flamme vacilla. Il grommela un juron. C'était complet ! Il ne pouvait fuir et il ne lui restait que quelques instants de lumière, tout juste le temps de voir le grand frogoth de près.

Cette fois ci, il avait peut-être trop préjugé de sa chance quasi légendaire. Cette fois ci, Myira n'aurait peut-être pas la matière pour le croquer. "Torgen terrassant les frogoths" le titre lui plaisait bien pourtant...

Torgen, se refusant de perdre tout espoir, hurla pour appeler ses compagnons à la rescousse. Ils viendraient l'aider, même Eileen, cela il en était persuadé. Mais pour l'instant il était seul. Couverts d'éraflures, il taillait dans la masse compacte des petits, les fauchant comme des blés. Mais pour un qu'il tuait dix se jetaient dans la mêlée, leur nombre ne semblait pas avoir de limite.

Le grand frogoth accompagné d'une cohorte de petits arriva au contact, le toisant de sa taille immense. A la lumière faiblissante de la lanterne, il put voir les crocs luisants de la bête et ses énormes pattes griffues. L'une d'elle s'abattit sur lui de toute la force dont le monstre était capable. Par miracle, il réussit à esquiver ce coup qui l'aurait sans nul doute tué net.

S'étant rapproché du combat, Socrane décocha une seconde flèche qui atteint le monstre en plein visage. Son sifflement prit une autre modulation alors que le sang coulait à flots de la blessure. Saisissant cette opportunité, Torgen logea sa bâtarde au plus profond des entrailles de la bête désorientée par la douleur. Le coup ne suffit pas à l'abattre et le frogoth tenta de nouveau de frapper Torgen, sans succès.

La lumière de la lanterne n'était plus que flammèches bleuâtres léchant le sol quand la torche d'Eileen s'alluma enfin, prenant la relève. Simultanément Socrane monta chercher un décalage temporel pour Torgen et Archibald lança une zone de sommeil au beau milieu de la mêlée. Torgen donna le coup de grâce avant de recevoir les deux sorts.

Au moment où le grand frogoth s'écroulait, tous les petits autour dee lui s'endormirent. Par une chance incroyable, Torgen résista au sort et sortit, princier, victorieux de ce combat difficile.

Sa destinée n'était pas de mourir aujourd'hui.

Il reprenait son souffle quand de puissants sifflements emplirent de nouveau la salle, sans doute avant de succomber le frogoth avait-il appelé à l'aide. Ill ramassa prestement la lanterne et tous s'enfuirent sans demander leur reste ni regarder en arrière vers l'escalier. Archibald, le souffle court, maudit sa curiosité, il see rappelait maintenant ce qu'il était si important de savoir sur les frogoths. Les parents par leurs sifflements pouvaient faire obéir au doigt et à l'œil leurs petits et s'en servir comme d'une toile d'araignée vivante, s'agglutinant autour des proies qu'ils leur désignent. Heureusement, personne ne lui posa la question.

Le tombeau d'Escurial avait de nouveau failli leur coûter la vie. Sans aucun regrets, ils le quittèrent pour rejoindre Nogaric et la fête qui devait y battre son plein. En effet aujourd'hui, quatorzième jour du mois de la Lyre, Messire Poupoute devait marier sa fille Lorène à Graboeuf, le fils du plus riche fermier du village après lui.

Une belle union.

A l'heure du Dragon, ils furent en vue de Nogaric. Archibald était aussi désespéré qu'à l'accoutumée et le temps maussade n'arrangeait en rien son humeur.

- C'est un temps à se pendre ou à se marier, lâcha-t-il dans sa barbe, veux-tu te marier avec moi Eileen ? La jeune fille crut à une plaisanterie et Archibald n'insista pas.

Ils trouvèrent le village désert. Sur la place centrale, à côté du puits, deux gamins jouaient à se frapper à coups de badines. Ils redoublèrent d'effort à la vue des voyageurs comme pour prouver leur valeur au combat. Réprouvant cette violence, Eileen tenta de les séparer. Comme ils ne voulaient pas entendre raison, elle les menaça d'une fessée.

- Tu veux que je te viole ! répliqua avec morgue l'un des gamins.

Elle éclata de rire.

- Où sont tous les villageois petit ? demanda Torgen

- Ben, ils sont tous au cimetière, rapport au mort. C'est dommage pour le Graboeuf, il devait se marier aujourd'hui vous savez ! On l'a trouvé prés de la rivière, décapité net par un sifflemort. Curieux qu'il ne l'ait pas entendu venir, ça fait pourtant un de ces raffuts ces bestioles là !

Les gamins leur expliquèrent ce qu'étaient les sifflemorts. Des coléoptères gros comme le poing et munis d'antennes très longues tournoyant à une vitesse prodigieuse. Coupantes comme du rasoir, elles fauchent les herbes sur le passage du sifflemort en vol et si par malheur on ne l'entend pas arriver... Tous pensèrent à cette femme retrouvée décapitée près de la cascade. Elle avait dû subir le même sort que Graboeuf.

- La pauvre Lorène doit être effondrée ! compatit Eileen.

- La Lorène, ça c'est une belle garce, pour sûr ! Elle est enfermée chez elle depuis la mort du défunt ! Elle veut voir personne...

- Moi je la consolerais bien la Lorène... Fit le second gamin.

- Dites, reprit le premier, vous allez à l'enterrement vous aussi ? Parce que si vous y allez, dites pas que vous nous avez vu. On devrait y être vous savez !

- A quoi jouez-vous ? demanda Archibald.

- Mais on joue pas ! S'insurgea le plus grand. On s'entraîne pour devenir chasseur de chevelutes, je les préfère aux chevelus parce qu'avant de leur arracher la peau du crâne on peut leur faire des choses aux chevelutes. C'est qu'il y en a qui sont plutôt belles !

- Il y en a par ici ?

- Non, il faut aller plus au nord, vers Ascors...

Eileen tenta de raisonner ses enfants, leur faire comprendre toute l'horreur d'un meurtre ou d'un viol. Ils l'écoutèrent poliment sans l'entendre, haussèrent les épaules et détalèrent.

Ils arrivèrent au cimetière après la fin de l'inhumation. En bon ordre, les villageois se dirigeaient à présent vers la salle des jugements. Parmi le cortège, cinq à six hommes soufflaient à tout rompre dans des cornes désaccordées. Ils suivirent le mouvement et se glissèrent dans le fond de la salle pleine à craquer. Ils y rencontrèrent Grimok.

- Vous n'êtes pas encore partis ? s'interrogea-t-il

- Nous venons du tombeau.

- Intéressant n'est ce pas !

- Pittoresque ! lâcha Archibald. Populeux ! ajouta Socrane.

- Nous venons d'enterrer Graboeuf. La pauvre Lorène est cloîtrée chez elle et le père Graboeuf est effondré, c'était son fils unique vous savez ! Il est aussi riche que Messire Poupoute, quelle belle alliance cela aurait-il pu faire ! Comment a-t-il pu se faire avoir ?

- Pourquoi êtes-vous rassemblés ici ? questionna Torgen.

- Messire Poupoute va prononcer un discours...

Depuis qu'elle était entrée dans la salle, Eileen n'avait plus d'yeux que pour un jeune villageois d'environ vingt-cinq ans, grand, maigre, filandreux, les cheveux paille, le regard aussi vide et inexpressif que possible. Qu'importe ses défauts ! qu'importe qu'il lui manqua la moitié des dents ! C'était lui l'homme de ses rêves, celui qu'elle avait toujours rêvé rencontrer. Elle ne le quitta pas des yeux durant tout le discours de Poupoute, espérant qu'il pose son regard sur elle ne serait-ce qu'un instant...

Poupoute monta sur l'estrade et s'éclaircit la voix :

- Le fils Graboeuf, emporté par la mort, a été enterré aujourd'hui mais il nee faut pas se lamenter, nous savons tous que pour lui un voyage vient de commencer et à son terme, il revivra. D'abord, il passera par la salle bleue en essayant de ne pas se noyer dans les algues, espérons le pour lui. Puis il ira plus profondément jusqu'aux sept chevaux de sept couleurs différentes. Là il devra choisir la bonne couleur.. S'il fait le bon choix, sept oiseaux s'offriront à lui, eux aussi de sept couleurs différentes. Là également il devra faire le bon choix pour continuer son voyage.. De nombreux dangers le menaceront, des créatures rampantes et vicieuses, de monstrueux insectes, des grenouilles tantôt petites, tantôt gigantesques. S'il réussit à sortir vainqueur de toutes ces épreuves il atteindra le lion à tête d'oiseau qui lui imposera sa dernière épreuve avant d'accéder à sa nouvelle vie. Il devra choisir le chemin où la voûte est basse et avancer courbé. Ainsi il pourra arriver devant la chimère, celle-ci le prendra sur son dos pour le mener vers sa nouvelle vie. Adieu Graboeuf, puisse-tu réussir ton voyage!

Les villageois applaudirent avec ferveur puis présentèrent leur condoléances au père Graboeuf avant de se retirer en silence. Myira, Archibald et Torgen reconnurent dans le discours de Poupoute des allusions à des salles et statues du tombeau qu'ils avaient découvertes lors de leur première visite, avant de rencontrer Eileen et Socrane: la salle aux sirènes, les mosaïques des sept chevaux et des sept zyglutes, les statues de chimère et de griffon, le couloir à la voûte basse allant de l'une à l'autre...

Ils décidèrent d'attendre que tous les villageois fussent sortis pour poser quelques questions à Messire Poupoute. Obnubilée par ce coup de foudre soudain,, Eileen n'avait pas écouté un mot du discours. Elle eut un pincement au cœur quand l'homme de sa vie quitta la salle sans même daigner lui jeter un regard. Elle soupira en le regardant s'en aller. A leur tour, ils présentèrent leurs condoléances et Poupoute répondit volontiers à leurs questions. C'était le discours d'usage, son père le prononçait avant lui, et Poupoute espérait avoir un fils pour qu'il puisse le faire à son tour. Cela apaisait quelque peu la douleur des familles, rien de plus.

Il leur offrit la salle des jugements pour la nuit comme c'était l'habitude et l'usage et quitta la salle en soutenant le père Graboeuf livide. Eileen compatit au terrible sort de Lorène qui venait de perdre l'amour de sa vie. Elle-même si elle ne faisait rien risquait de le laisser échapper !

Elle posa ses affaires et sous le couvert de flâner sortit pour partir seule à la recherche de son villageois. Les trois autres haut-rêvants se plongèrent dans la lecture ou l'écriture de parchemins draconiques et Torgen, ne tenant pas en place, alla lui aussi faire un tour au village.

Il rencontra des gamins. Ceux- là même qu'ils avaient vu près du puits. La conversation tourna autour des chevelus, une fois de plus.

- Mon frère est un grand chasseur, affirma le gosse, il est parti à Ascors. Il parait que c'est pas difficile d'attraper des chevelus, le plus dur à ce qu'il m'a dit est de garder les cheveux assez longtemps pour pouvoir les vendre. Mon frère il m'a dit que je deviendrai un chasseur quand j'aurai de la barbe, alors je me frotte avec de la crotte de pigeon tous les jours pour que ça pousse plus vite ! Plus vite j'aurais de la barbe, plus vite je pourrais violer les chevelutes !

- Moi je serai mieux qu'un chasseur de chevelus, fit l'autre, je serai Baron ou même Comte ! Il suffit d'avoir une vraie couronne, enfin je crois ! Et pour cela, je dois trouver la Mauviette...

- C'est une légende... Lâcha Torgen.

- Mon frère dit qu'il l'a vu, la Mauviette. Mais il est impossible de l'attraper, ce qu'il faut c'est lui plaire ! Si vous lui plaisez, elle peut vous donner des cheveux. Les Barons et les Comtes ils ont des cheveux de Mauviette sur leur couronne. Ils brillent dans la nuit et font de la lumière. Elle est très belle la Mauviette, un cul ! et des seins !

Torgen siffla d'admiration.

- Bon, il va falloir que l'on rentre. Il est tard, nos parents vont s'inquiéter. Il y a beaucoup de sifflemorts en ce moment !

- On se verra peut-être demain ! dit Torgen.

- Vous savez, les chevelutes, on est pas obliger de les violer, fit le second gamin. Mais moi je veux bien !

- Pourquoi n'essayerais-tu pas d'abord avec une fille du village ?

- Elles font trop de manières...

- Comment crois-tu que naissent les enfants ?

- Ben les gars naissent dans des choux et les garces dans des roses. Moi que je serai grand je ne planterai que des roses et quand les filles seront grandes...

Son ami lui donna un léger coup de coude et ils détalèrent tous les deux.

Eileen, la gorge serrée, le cœur battant à tout rompre, errait au hasard dans le village. Elle tomba sur une jeune fille.

- Vous êtes une voyageuse, je vous ai vu il y a une semaine... Vous cherchez quelque chose ? s'enquit-elle.

Eileen lui décrit le villageois qu'elle cherchait en lui ouvrant son cœur. La fille pouffa et appela Bubu à la cantonade. Maintenant elle connaissait son nom, un doux nom qu'elle rêvait de lui murmurer à l'oreille quand ils seraient seuls tous les deux. Elle prétexta un besoin urgent de son aide et comme il s'obstinait à refuser lui fit du charme, Bubu rougit et la suivit. Une idée lui vint en chemin et elle lui posa la question qui lui brûlait les lèvres :

- As-tu une vache, Bubu ?

- Ben oui, dans l'étable, Lili qu'elle s'appelle !

- Dis, je pourrais la traire ! J'en rêve !

Elle s'accrocha à son bras, le faisant rougir d'avantage et baisser les yeux. Il accepta et la conduisit jusqu'à chez lui.

- Salut l'Père, Salut la Mère, j'vous présente l'Eileen, elle vient acheter la vache!

Eileen rectifia aussitôt. Le père s'en mêla.

- O ! mais tu connais pas le dicton ma p'tite : On ne trait pas la vache du voisin !

- Moi je veux bien qu'elle la trait not'vache vu qu'on va se marier ! intervint Bubu.

Elle lui sourit et il se sentit de taille à tenir tête à quiconque, même à son père.

- O là ! L'Bubu, t'as pas l'intention d'épouser une voyageuse des fois!

- Si tu veux pas que je me marie, eh bien je le ferais quand même et j'partirai en voyage avec l'Eileen et la Lili.

- La Lili n'est pas à toi mon gars !

- Tu m'as toujours dit que je l'aurais en héritage !

- Mais j'suis pas encore mort !

- Ça pourrait bien venir !

Le ton montait et la discussion devenait houleuse. La mère gémissait dans son coin.

- Calmez vous l'Père ! intervint Eileen.

Sans lui laisser le temps de continuer, Bubu la prit par le bras et sortit, l'entraînant avec lui. Ils contournèrent la maison pour entrer dans l'étable. En apercevant la vache Eileen fut folle de joie et commença aussitôt à la traire. Elle sentit dans son cou un souffle chaud et fétide tandis qu'une main glissait vers sa poitrine.

- J'ai bien envie d'faire pareil avec toi l'Eileen !

Elle lâcha aussitôt les pis et céda au désir qui la brûlait.

- O oui mon Bubu, trais moi ! dit-elle en délaçant violemment sa chemise au risque de la déchirer.

Elle se jeta dans ses bras et tous deux roulèrent dans la paille de l'étable...

Durant ce temps, Myira s'interrogeait sur les mystères de la transmutation de la terre en bois tandis qu'Archibald se concentrait sur la recherche d'un sort permettant d'annuler l'effet de ses propres sorts. Torgen rentra vers la fin de l'heure des Epées et monta aussitôt se coucher au grenier tant l'inaction de tous ces gratteurs de parchemins l'énervait.

Bubu reprit son souffle et se rhabilla.

- L'Eileen, lui sussura-t-il à l'oreille, j'vais partir avec toi en voyage comme ça on pourra forniquer tous les soirs que l'Père soit d'accord ou non...

Elle se força à lui sourire, cet homme la dégoûtait. Savoir qu'il avait pu la toucher lui donnait envie de vomir. Elle ne comprenait pas ce qui l'avait poussée vers lui.

Devenait-elle folle ?

- Tu sais l'Eileen, j'serai capable de t'tuer si tu voulais m'quitter. J't'aime plus que la mère, plus que la Lorène, plus que la vie !

Elle se rhabilla prestement, se dérobant à ses caresses. Il ne voulut pas la laisser partir tout d'abord. Elle lui donna un dernier baiser en s'efforçant de ne pas laisser paraître son dégoût. Rassuré, il la laissa aller non sans lui donner impérativement rendez-vous dans l'étable à la tombée de la nuit.

Les vêtements souillés de fumier et les cheveux pleins de paille, elle regagna la salle des jugements en retenant ses pleurs. Elle prétendit avoir glissé dans une cour de ferme et pria Archibald de l'accompagner à la rivière pour la protéger des sifflemorts. Elle se baigna plusieurs fois avant de se sentir enfin propre. Eileen raconta sa mésaventure à Archibald. Il fut touché de la preuve de confiance que lui accordait Eileen et il compatit en pensant au calvaire que lui avait fait endurer La Balûche, une paysanne gironde.

- Le problème c'est qu'il s'accroche ! fit-elle.

- A quel point ?

- Au point de vouloir me tuer si je le quitte. Je ne sais pas quoi faire, jee ne veux pas sa mort !

Tout en lui frottant le dos, Archibald songea à la manière de régler ce problème. Lui faire croire qu'elle part avec lui et l'endormir, leur laissaient une bonne marge pour pouvoir le semer. L'idée était à creusée...

Ses vêtements propres eux aussi, ils rentrèrent. Socrane avait enchanté de la bière durant leur absence pour fêter dignement leur nouvelle amitié. Eileen ne put échapper à une remarque acerbe de Myira :

- Tu es plus belle. Lavée !

Eileen rit jaune, Myira enchaîna aussitôt, malicieuse.

- Archibald t'offre de bons parfums ! surenchérit la gnomesse.

Eileen n'était pas d'humeur à discuter, elle préféra boire la bière enchantée pour chercher l'oubli. Si elle ne fut qu'éméchée par ce breuvage magique, Archibald et Torgen se retrouvèrent à la limite de l'ivresse. Quant aux deux autres, ils ne virent pas la différence avec une bière normale. L'atmosphère se détendit et Eileen en oublia un instant ses ennuis. D'un commun accord, le départ fut décidé pour le lendemain matin. A son grand soulagement.


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